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210 € le premier menu proposé à l’heure du déjeuner du lundi au jeudi chez Alain Ducasse au Plaza Athénée (le menu du soir est à 390 €), 300 € à l’Ambroisie, 360 € chez Guy Savoy, 310 € en soirée chez Pierre Gagnaire –sans les boissons-… Un ouvrier payé au smic devra donc débourser un quart de son salaire (net) pour déjeuner ou dîner, seul, chez l’un de ces grands chefs. Et près de la moitié s’il y invite son épouse… en espérant qu’elle soit sobre et qu’elle fasse l’impasse sur l’apéro ! L’apartheid par l’addition est une réalité. Le repas plus cher que l’écran de télévision ou qu’un lave-linge chez Cdiscount : on atteint des sommets qui naturellement posent question. Plus généralement, on se demande d’ailleurs qui sont les Français qui peuvent encore s’offrir ce genre de dépense l’âme légère et le gosier détendu.

Je n’ignore rien des charges, des coûts, des contraintes et des exigences qui font que ces établissements sont conduits à pratiquer des politiques tarifaires infranchissables pour le commun des mortels : je me dis juste que c’est dommage. Et cela me ramène à cette question du juste prix et du rôle joué sur le créneau de l’alimentaire par les grandes surfaces. Car tout ne peut pas être pas cher. Attendre d’un foie gras ou d’un saumon fumé qu’ils soient vendus toute l’année au prix d’un pâté ou d’une tranche de mauvais jambon, c’est accepter premièrement d’être trompé sur la qualité de la marchandise –donc de passer à côté d’une émotion gustative, voire d’absorber un produit douteux-, mais c’est surtout accepter que de l’autre côté de la chaine (chez le producteur) quelqu’un ait mal travaillé pour un salaire de misère. C’est, d’une certaine façon, nier l’existence de l’autre et accepter des conditions d’élevage, de transformation et de travail déplorables. Entre la malbouffe qui ramène tout le monde vers le bas –hormis les distributeurs- et la bouffe de luxe devenue inaccessible, il y a forcément un juste milieu pour lequel nous devrions tous militer activement. Mangeons moins et mangeons mieux. Apprenons à nos enfants, à nos amis aussi, à faire la différence entre une volaille fermière élevée dans les règles de l’art et un poulet de batterie dont les déchets, transformés en nuggets enrichis de mauvaises graisses, sont une honte à tout point de vue. En les sensibilisant aussi sur ce qu’il y a de dégradant, pour un être humain normalement constitué, à faire partie d’une chaîne qui produit de la merde. Tout simplement parce qu’il y a des gens pour distribuer cette merde, et d’autres qui sont conditionnés pour l’acheter.

 

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