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Guy Savoy bis 1

Appartenant au prestigieux cercle des chefs triplement étoilés, à la tête de quatre établissements à Paris, un autre à l’étranger, Guy Savoy a conservé une liberté de parole qui tranche dans le paysage lissé de la haute gastronomie. Interview réalisée pour le magazine Nous CHRD.

 

Un grand chef va-t-il encore le temps de s’intéresser à l’actualité de la profession ?

GUY SAVOY – Oui, parce que j’ai la chance de rencontrer chaque jour des gens qui m’informent de ce qui se passe. Et puis, quand il y a des choses intéressantes, les filles du bureau me le signalent. Ce matin par exemple on m’a indiqué qu’il y a avait un article en page 38 du Figaro sur le développement de Burger King : c’est le genre d’info qui peut m’intéresser. Et comme j’ai tout le temps des projets, je me tiens informé de l’évolution de la législation et je fais naturellement en sorte d’être en harmonie avec toutes les mesures qui sont prises. Quand j’ai des doutes, j’appelle.

Les revendications des restaurateurs sont parfois mal perçues par le grand public : qu’en pensez-vous ?

G.S – Si nous sommes mal perçus c’est parce que l’on communique mal. C’est tout. On n’a qu’à mieux expliquer notre métier. Par exemple, lorsque l’on me parle des prix pratiqués dans mon restaurant de la rue Troyon, je commence par dire qu’il y a 49 employés, 9 apprentis et stagiaires qui y travaillent chaque jour pour 60 convives par service, que je n’achète que des produits de très grande qualité… Nous avons la chance d’avoir en face de nous des clients que je préfère appeler des convives à qui on peut tout dire, il ne faut pas s’en priver. Et à notre décharge, lorsque l’on fait bien notre métier on donne parfois l’impression de ne pas travailler.

Style: "5D TF GS"

Depuis quelques années les chefs sont devenus inévitables sur les écrans de télévision : profitez-vous de cette émulation ?

G.S- Cette mise en avant a totalement changé  l’image de nos métiers. Aujourd’hui, un jeune de 15 ans n’a plus honte de dire qu’il veut être cuisinier alors qu’à une époque – je l’ai vécu au lycée de Bourgoin- lorsque vous annonciez en fin de seconde que vous vouliez faire ce métier on vous prenait pour une bille. Cet engouement n’est pas que national : il est même venu de l’international. Les anglo-saxons et les japonais ont fait des émissions sur la cuisine bien avant nous…

C’est donc un vrai bénéfice pour vous ?

Par rapport à la désinhibition des jeunes qui n’ont plus honte de dire leur passion pour ce métier, oui. Ce que je voudrais, c’est que ça rejaillisse sur tous les métiers manuels. Chez nous, il y a un mot qui est magique c’est le mot métier. Avoir un métier, c’est extraordinaire. Quand on n’en n’a pas, on sait combien est difficile de s’inscrire dans la société. Je ne comprends pas que dès l’école on ne fasse pas prendre conscience que la fac ce n’est pas une fin en soi. Les métiers manuels offrent le plus beaux des objectifs : c’est la possibilité d’être autonome et indépendant. A ce sujet, je regrette que l’apprentissage de soit pas davantage soutenu. Si je veux prendre un apprenti de moins de 18 ans, les interdits auxquels je suis soumis sont tels que je me demande comment je vais parvenir à lui enseigner quelque chose ! C’est tout juste s’ils ont le droit de toucher à un couteau. Par ailleurs, les avantages financiers dont bénéficiaient autrefois les formateurs ne cessent de diminuer.

Que pensez-vous des commentaires postés sur les sites de réservations en lignes et plus généralement de la libération de la parole autour du restaurant ?

Je ne peux pas être contre la liberté. Mais je ne suis pas directement touché par ce sujet. Il y a deux ans, une société est venue me proposer ses services pour publier des commentaires, aussi bien des bons pour moi que des mauvais pour mes confrères : j’ai refusé. Une grande partie de mes clients viennent soit parce qu’ils sont déjà venus, soit parce que des amis ou des connaissances leur ont recommandé la maison. Le bouche à oreille reste le plus gros média. Cela dit, quand on achète une voiture on n’hésite pas à lire tous les essais qui paraissent sur le modèle qui nous intéresse. Pourquoi ne pas en faire autant pour un restaurant ? Moi, quand je vais dans une ville que je ne connais pas, je commence par aller chez le buraliste du coin et je lui demande où il va avec ses amis. Il y a, quoi qu’il arrive, un minimum d’informations à collecter avant de pousser la porte d’un restaurant.

Vous êtes un peu le père de la « bistronomie » et vous avez contribué à décomplexer la gastronomie…

Je ne revendique rien, je n’ai pas inventé le bistrot, mais j’ai peut-être ouvert une voie en prenant au passage toutes les salves négatives. Un de vos confrères à l’époque m’avait traité de succursaliste. En vérité, j’aime toutes les facettes de mon métier : les Bistrots de l’Etoile n’existent plus, je suis passé à autre chose et je vais encore passer à autre chose. J’ai toujours revendiqué le statut d’indépendantisme forcené et j’ai fait ce qui m’a plu comme je souhaitais sans tenir compte des commentaires. Au bout de 46 ans de métier, tout va bien : j’ai fédéré des équipes extraordinaires autour de moi et si ça continue je suis parti pour bosser jusqu’à 100 ans. Il n’y a que deux choses qui me feraient arrêter : les problèmes de santé ou le fait d’avoir des équipes qui n’adhèrent plus à mon discours. Là, je suis entouré de jeunes qui ont envie et j’ai vraiment l’impression d’être le président d’un club de sport.

Que pensez-vous du décret sur le « fait maison » ?

Heureusement qu’il y a encore un grand nombre de restaurants où c’est le cas et où c’était le cas avant que le décret paraisse. Pour vous parler franchement, je ne me sens pas concerné. Cela va sans dire. C’est un peu comme si je devais prendre l’engagement qu’il n’y a pas de produits surgelés chez moi… C’est évidence. Il n’y a la truffe hors saison qui soit congelée.

Guy Savoy through the doors

Et du statut d’artisan cuisinier ?

C’est une bonne démarche bien-sûr puisque cela participe à valoriser notre métier, mais pour moi c’est un peu comme le « fait-maison » : cela ne s’entend pas autrement.

Le gouvernement va bientôt se prononcer sur l’information autour des allergènes : qu’en pensez-vous ?

C’est un sujet important. Les allergies, c’est sans arrêt alors on s’équipe, on s’adapte. Il y a 5 ans, c’était une fois par an, aujourd’hui c’est deux ou trois demandes par service. On note aussi une recrudescence de demandes de menus végétariens. Ce n’est pas un problème. J’ai été élevé par un père qui avait une passion pour son jardin et mon premier bouquin sorti en 1982 chez Plon s’intitulait « Légumes Gourmands ». Je suis donc tout à fait à l’aise avec le sujet même si je pense que nous sommes le pays de la diversité et que  notre cuisine doit être le reflet de cette diversité.

Vous avez un restaurant à Las Vegas : que répondez-vous à ceux qui affirment que la cuisine française a perdu la première place ?

Il n’y a que les Français pour le dire et c’est vraiment exaspérant. Je peux vous citer les noms de quelques grands chefs étrangers – je pense à Thomas Keller, Gordon Ramsay, Massimo Bottura, Tom Kitchin et j’en oublie- : tous ces grands chefs ont appris leur métier dans notre pays. Et lorsqu’ils sont rentrés chez eux pour ouvrir leur table, ils ont réinterprété la gastronomie française en la mettant constamment en avant. C’est eux qui le disent, pas moi : c’est en France qu’ils ont trouvé l’inspiration. Et cela se comprend facilement. D’abord parce que nous avons cette culture gastronomique unique, vieille de plusieurs siècles, nous proposons des maisons qui ont des âmes, des terroirs et des savoirs faire uniques au monde et lorsque l’on prend la peine de regarder objectivement les trésors que nous offrent les maraichers, les pêcheurs, les fromagers, les boulangers, les charcutiers, les bouchers et l’ensemble des métiers de bouche, on perçoit la richesse de notre patrimoine culinaire qui est sans comparaison. Là encore, ce n’est pas moi qui le dis : le monde entier nous envie et rêve de nous ressembler.

 

Propos recueillis par Bruno Lecoq

BIO EXPRESS

Né le 24 juillet 1953 à Nevers

En 1955, il suit ses parents à Bourgoin-Jallieu où sa mère créée un restaurant réputé : « Le Dauphiné ».

En 1969, il entre en apprentissage chez les Frères Troisgros à Roanne.

En 1977 Claude Verger lui confie la place de chef de son restaurant La Barrière de Clichy

En 1980 il s’installe à son compte rue Duret dans le 16e arrondissement de Paris. Il obtient sa première étoile au Guide Michelin un an plus tard en 1981.

En 1987 il déménage rue Troyon dans le 17e arrondissement de Paris et décroche sa 2ème étoile au guide Michelin

En 2002, il obtient une troisième étoile au Guide Michelin.

En 2006, il ouvre un restaurant dans le casino Caesar Palace de Las Vegas

En 2007, il prête sa voix au personnage Horst dans Ratatouille (version française)

 

 

www.guysavoy.com

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