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Avant propos

Cet article va paraître très prochainement dans le magazine Vins & Gastronomie. Je souhaite juste faire remarquer à mes lecteurs que Vins & Gastronomie est un des rares magazines – si ce n’est le seul- où ce ton libre, mettant directement en cause le choix d’un chef au sujet duquel vous ne lirez jamais ailleurs la moindre réserve (sauf à la noyer dans un lot de considérations qui valent des excuses préalables), est possible. Et que cela devrait éveiller votre propre sens critique. En quittant la critique gastronomique en 1996 pour cause d’amités contradictoires (avec les chefs principalement) , je crois avoir fait un choix juste. J’ai repris le chemin de la chronique gourmande en 2008 en me faisant la promesse de ne plus m’embarrasser d’amitiés liberticides. Et je vous promet que cela n’a pas été simple. D’abord parce que j’avais beaucoup d’affection pour les chefs avec qui j’avais grandi (les plus célèbres aujourd’hui), ensuite parce qu’il m’en a coûté. Ne plus être dans leur proximité m’a privé d’infos confidentielles, d’invitations utiles et de cette reconnaissance qui fait que vos écrits vont être « autorisés », autrement dit adoubés. J’ai gagné en liberté ce que j’ai perdu en visibilité. Mais je n’ai aucun regret. Peut-être un seul, c’est la confusion qui s’est entre temps emparée des lecteurs que le sujet jadis pouvaient intéresser… Mais c’est un vaste débat sur lequel je reviendrai bientôt, tant il est significatif des temps actuels. Un grand merci à Yves Sacuto, pour son courage d’éditeur et la liberté qu’il m’avait donné en 1985 et qu’il ne m’a jamais reprise depuis. C’est suffisament rare pour être souligné.

 

Petites séquences de la comédie humaine

 

  • L’information a fait le buzz et on peut dire qu’Alain Ducasse a atteint son but : faire parler de la nouvelle carte de son restaurant au Plaza Athénée à Paris qui vient de rouvrir sans ses étoiles au guide Michelin. La nouveauté ? On n’y trouvera plus de viande. Tiens donc, dans la mouvance de Joël Robuchon qui lorgne de plus en plus ouvertement vers une cuisine végétarienne, le grand chef monégasque y est allé de son couplet en déclarant à l’AFP « La  planète a des ressources rares, il faut la consommer plus éthiquement, plus équitablement ». Pourquoi pas ? Personne n’est obligé de pousser la porte de cette table gastronomique où l’on fera désormais la chasse au sucre, au gras et… à la viande sous couvert de bons principes. Personne ne l’oblige non plus à ouvrir des restaurants. Nos grands chefs – qui ont terminés leur croissance depuis fort longtemps- ne sont plus au service de la cuisine mais tentent de plus en plus clairement à nous imposer leur point de vue global sur l’alimentation, une certaine hygiène de vie. Avant que leurs restaurants se confondent avec des pharmacies, profitons-en encore un peu ! Mais puis-je me permettre de signaler à Alain Ducasse que les poissons qu’il déclare maintenir à sa carte sont eux aussi au cœur des bien des polémiques où se mêlent la pollution des océans si riches en métaux lourds, la surpêche et –lorsqu’il s’agit de poissons d’élevage- les mêmes questions existentielles que sur l’élevage des bovins ou des volailles.

 

  • Les restaurants ont toujours été des observatoires formidables du genre humain. Il suffit de s’y retrouver seul à une table pour s’en rendre compte et je dois dire que c’est l’un de mes « petits plaisirs » favoris. Entre le jeu du personnel de salle plus ou moins bien orchestré et le comportement des clients, le spectateur a de quoi s’occuper entre les plats et de quoi s’amuser, tellement certaines situations, proches de la comédie, sont ridicules. En écrivant ces lignes, je pense à cette patronne d’un restaurant quelque part en France où la propriétaire, qui cherchait sans doute à tenir son rang devant deux clients manifestement fortunés, a raconté en détail le récit de ses vacances récentes sur la Côte d’Azur. Préoccupée par l’idée d’épater ce couple de snobinards : elle en avait oublié le reste de la salle qui se moquait tout comme moi de ce qu’elle pouvait penser de la plage Keller, du Golf de Mougins et du Martinez. On s’en fichait d’autant plus qu’elle s’était contentée de saluer les quatre autres tables occupées ce soir-là le plus sèchement du monde. Là, on se serait cru dans un sketch.  Déjà ces deux clients qui parlaient fort et beaucoup d’argent en prenant un air supérieur, ensuite cette patronne pathétique qui en faisait des tonnes… J’en ai souri bien-sûr en imaginant qu’un humoriste à ma place aurait trouvé ici tout son miel. Mais entre nous, c’était assez insupportable. Déjà par le niveau de bêtise débitée, ensuite parce que c’est tristement typique d’un manque de savoir-vivre de la part de personne qui s’imagine l’incarner.

 

  • Observer les autres, leur façon de se comporter dans une salle de restaurant, est vraiment instructif. Il y a ces conversations qui montent au fur et à mesure des verres de vin engloutis avec des commentaires sur l’actualité, les gens célèbres ou encore les problèmes de famille qui s’invitent à votre propre table alors que vous n’avez rien demandé. Et puis il y a ces caractères qui se révèlent. Des gens qui s’engueulent, ceux qui s’empiffrent salement, ceux qui commentent ce qu’ils sont en train de manger, qui draguent ouvertement un membre du personnel ou dînent avec leur téléphone portable. Ceux-là méritent des claques. Photos de plats, selfies, sms, mail, quand ce n’est pas carrément des conversations : les téléphones mobiles occupent désormais une place indécente au restaurant.

 

  • Et puis il y a mes préférés. Les emmerdeurs. Ceux qui prétextent une allergie pour exiger un traitement particulier de la part du chef et prennent leur repas en disséquant leurs assiettes à la recherche de l’ingrédient interdit. La dernière allergie à la mode, c’est celle au gluten. C’est fou le nombre d’allergiques au gluten qui se signalent actuellement. A part que, les communications médicales sont formelles sur ce point, les authentiques allergiques sont très rares. Les restaurateurs devraient pouvoir exiger un certificat médical à chaque fois qu’un allergique pointe son nez. Il y en aurait moins.

 

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