Par

Stephane Jego

Fer de lance de la bistronomie française avec son ami Yves Camdeborde, Stéphane Jégo a fait de son bistrot parisien, L’ami Jean, une des hauts lieux du bien manger. Personnage entier, passionné, généreux et terriblement curieux : il est dans une quête perpétuelle de perfectionnement qui le conduit naturellement dans les épiceries fines.

 

LMEF – Si je vous dis « épicerie fine » ?

STEPHANE JEGO – Je pense à des produits de qualité sélectionnés par des gens de qualité. Pour moi, c’est la base d’une épicerie fine qui doit être un lieu où l’on est sûr de pouvoir trouver des produits qui sortent de l’ordinaire.

LMEF – On vous imagine volontiers clients…

S.J -Bien sûr, quand je n’ai pas le temps d’aller fouiller à Rungis ce sont des raccourcis extraordinaires. Je vais dans le quartier du côté de la rue Cler  mais aussi un peu partout dans Paris. Je me suis constitué un petit carnet d’adresses où je sais pouvoir trouver l’introuvable… Chez Izraël par exemple, pas très loin de l’Hôtel de Ville, où je me rendais déjà lorsque je travaillais avec Yves Camdeborde : c’est une adresse mythique pour tous les cuisiniers. Mais je vais aussi du côté du marché d’Aligre où j’ai habité un temps. Là, je trouve des épiceries fines qui ne sont peut-être pas luxueuses mais qui  vendent des produits de grande qualité. On peut y trouver du paprika fumé, des poivrons séchés, des poivres rares… C’est en faisant le tour de toutes ces boutiques que je me constitue ma propre épicerie fine.

LMEF- Qu’y avez-vous trouvé récemment ?

S.J- Des petits piments d’Espelette séchés et taillés très fins qu’on appelle des cheveux d’ange.

chez l'ami jean

LMEF- Vous faites-vous connaître ?

S.J- Jamais la première fois. D’abord je fais le gros sauvage : je regarde tout – j’adore ce côté caverne d’Ali Baba-, je m’imprègne bien et seulement ensuite, si j’ai repéré quelque chose qui m’intéresse,  je reviens. Et naturellement j’engage le dialogue.

LMEF- Etes-vous à la recherche d’un produit particulier en ce moment ?

S.J- Oui, j’aimerais trouver un vrai tapioca. Ce n’est pas aussi simple, je cherche un gros grain qui tienne bien à la cuisson : pas un produit industriel. J’aimerais pouvoir travailler le tapioca comme les langues d’oiseau qui sont des petites pâtes d’avoine. J’ai toujours besoin de me renouveler. J’ai commencé à travailler les langues d’oiseau après avoir découvert ce produit dans un restaurant du vieux San Sébastian en Espagne. Les jeunes qui tenaient ce restau faisaient avec ça un risotto au mascarpone et huile de roquette qui était une vraie bombe. Comme à l’époque j’avais fait le tour du riz, j’ai fait le tour des épiceries à mon retour à Paris pour en trouver.

ami jean

LMEF- Vous arrive-t-il de trouver des idées directement chez les épiciers fins ?

S.J – C’est le but du jeu. Les feuilles de bonites que j’utilise aujourd’hui avec le ris de veau, par exemple, j’ai découvert ça chez Izraël. Au début, je les utilisais pour rehausser un foie gras entier taillé comme une mangue frits à 180° et que je passais ensuite au four vapeur : une vraie gourmandise. Et c’est en discutant chez Izraël que je suis tombé sur ces feuilles de bonite séchée qui ont un petit goût fumé et salin qui m’a tout de suite inspiré.

LMEF – Quelles recommandations pourriez-vous donner aux commerçants qui vont lire cet entretien ?

S.J- Continuez à explorer la forêt. Je sais qu’il y a plein de choses formidables en France et qu’il faut continuer à les défendre, mais il y a aussi plein de choses formidables à l’étranger qui restent à découvrir. Et c’est tout le sel d’une l’épicerie fine : parvenir à nous faire découvrir des saveurs ou des produits originaux. Pour moi, les épiciers sont des chasseurs de trésor et je ne trouve rien de mieux lorsque l’un d’entre eux me dit : « Stéphane j’ai trouvé ça, tu devrais goûter. » J’ai dans mes amis un garçon qui a une sorte d’épicerie fine ambulante pour les chefs : « Les saveurs du Cachemire » : il va en Indes, en Thaïlande, au Maroc et il ramène de partout des produits intéressants. J’aime faire le point avec lui trois ou quatre fois par an pour voir ce qu’il a de nouveau à me proposer, cela me permet de me régénérer, ça ouvre l’esprit.

Jego Stéphane

 

LMEF – Vous vous rendez régulièrement en Thaïlande : y faites-vous votre marché ?

S.J- Oh oui ! La première fois que j’y suis allé j’ai dû remplir deux valises. Maintenant j’en rapporte surtout des cosses de tamarin frais qu’on ne trouve pas ici. On trouve une bonne pâte de tamarin, mais pas les cosses qui ressemblent à de grosses cacahuètes dont on gratte l’intérieur. Ca a un petit goût acidulé et vinaigré qui va très bien avec le foie gras, certaines viandes et certains poissons. Je pense que la prochaine fois j’en rapporterais des graines afin de pouvoir les faire cultiver en France.

LMEF – On vous connait comme un des fondateurs de la bistronomie : comment vous positionnez-vous ?

S.J- Comme le chef d’un bistrot qui a décloisonné les frontières et propose dans un endroit convivial une cuisine de qualité, généreuse, dont certains plats pourraient être servis dans une table étoilée et d’autres appartiennent au répertoire de nos grand-mères. Ici, il n’y a pas de barrière, pas de limite autre que la qualité. Je ne m’interdis rien mais je veux que les gens qui viennent ici soient accueillis comme à la maison et qu’ils se sentent bien. Pour ma part, je ne fais pas une cuisine identitaire mais axée sur les beaux produits, sur l’instant et l’instinct avec le goût du partage.

 

Propos recueillis par Bruno Lecoq

www.lamijean.fr

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