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La page Linkedin de Jacques Bally l’annonce depuis quelques jours : lui qui exploitait la marque Gault Millau en Russie, l’a racheté complètement, soit la totalité des guides et des sites développés à travers le monde… Le magazine n’étant plus édité depuis quelques mois. Je ne saurais vous dire combien de propriétaires se sont succédés aux commandes de ce titre créé à la fin des années 1960 par Henri Gault et Christian Millau, deux grandes signatures qui à défaut d’avoir inventé un genre l’ont dépoussiéré avec brio. Les deux journalistes qui s’étaient rencontrés à Paris-Presse L’Intransigeant et qui avaient débuté l’aventure des guides avec les éditions Julliard ont eu du nez. Les grands chefs qu’ils ont entrainé dans leur succès se sont comptés par dizaines, d’abord avec cette belle idée de nouvelle cuisine, ensuite par l’impact naturel d’un Gault Millau omniprésent, institutionalisé et internationalisé. Et puis il y a eu la brouille entre Henri et Christian, leurs épouses respectives. Le choix de l’émancipation d’un Paul Bocuse qui préférait Henri Gault à Christian Millau, le Michelin au guide jaune. J’ai fait moi-même mes toutes premières armes au tout début des années 1980 auprès des correspondants du Gault Millau installés à Nice et j’ai pu percevoir l’emprise que cette belle entreprise avait alors sur le monde de la restauration. J’ai eu la chance de travailler ensuite avec Henri Gault qui fut un temps chroniqueur pour le magazine Vins & Gastronomie, puis de sympathiser plus tard avec Christian Millau qui me fit la joie d’écrire dans Lecoq Gourmand et dans Le Monde de l’Epicerie Fine. Et j’ai pu voir, malgré les moyens engagés par leurs successeurs – le titre avait été initialement vendu à deux reprises, une première fois à un riche résidant d’Afrique du Sud, une deuxième au journal Le Point-, comment il était difficile de chausser les bottes de sept lieues des duettistes de la fourchette. J’ai pu voir aussi que le business l’avait emporté sur la passion et la liberté des premiers temps. Ce n’est pas propre à l’aventure Gault Millau, mais c’est incontestablement à mettre en parallèle avec la défiance qui s’est subrepticement installée entre la presse magazine et ses lecteurs devenus de plus en plus rares au point qu’il a été nécessaire de mettre un terme à l’édition du magazine Gault Millau. Je ne vais pas revenir ici sur la façon dont la marque a été tenue ces dernières années, sur son repositionnement. Cela appartient déjà au passé. Ce qu’il faut souhaiter au repreneur aujourd’hui, c’est qu’il puisse retrouver le souffle d’antan, cette forme d’inspiration qui faisait que toute la France gourmande – professionnels et gourmets- se retrouvaient derrière l’étendard Gault Millau. La presse gastronomique reste à réinventer.

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